Il est communément d'usage d'accompagner l'exposition d'œuvres d'une même période d'un catalogue présentant, commentant, analysant leurs caractéristiques et singularités, afin d'exprimer au mieux la nature du projet de l'artiste, en la circonstance. Ce rôle généralement réservé au catalogue a un avantage: il assure au commentaire une efficacité et une netteté incomparables. Il présente aussi un inconvénient: celui de détacher les œuvres d'un parcours révélant les points de fuite de la pensée artistique qui en a parcouru les gués et, par suite, d'enfermer les pièces présentées dans un espace-temps rétréci n'autorisant plus l'évaluation de certains paramètres, dont en premier lieu les matériaux, dans leur constitution. Ne pas vouloir réduire les œuvres à l'événement de leur apparition dans le contexte d'une exposition, est une ambition légitime à une époque où celles-ci, tout en se concrétisant dans une réalité matérielle, ont fréquemment choisi la voie de l'in situ comme moyen de mise en vue, en rendant perceptibles pour chaque lieu d'intervention les conditions dans lesquelles elles doivent être perçues. Le risque étant de ne plus pouvoir distinguer les limites respectives de l'œuvre et de son lieu d'implantation, et au delà, de considérer que les corps physiques des objets ne sont plus reliés à leur espace de création, non pas le seul atelier mais également les autres œuvres ayant qualité d'inducteur d'expériences.
Dans le cas de Laura Lamiel, ce que nous appelons l'élément de tôle émaillée, qui est le composant alphabétique déterminant de son langage, n'est jamais clos sur lui-même, Il devient ce qu'il est dans ses rapports avec les autres. En changeant régulièrement les modes de présentation de ses " tôles ", l'artiste a montré au cours des années de quelle façon chacune d'entre elles possède son propre espace et fait néanmoins partie de l’espace d’une autre œuvre. Pour ces raisons, les derniers travaux de Laura Lamiel demandent à être regardés comme le résultat des expériences qu’elle a tout récemment menées dans des lieux institutionnels (Centre d'art du Crestet, Musée de Grenoble) où les dimensions exceptionnelles des lieux à investir l'ont incitée à en restructurer les données architecturales à l'aide de dispositifs par elle désignés sous l'intitulé de « maison ». Bien qu'engageant directement le corps du spectateur, puisque s’exposant comme des lieux à parcourir, ces dispositifs l'ont encouragée à estimer au plus juste les relations récoltées au hasard de ses déambulations urbaines.
Lorsque nous considérons le dernier état d'une œuvre, il nous est impossible d'imaginer son avenir. De même, la force de sa persuasion nous dissimule bien souvent le champ dont elle sort. D'une œuvre comme de la réalité nous ne voyons jamais que des fragments et pour que ces fragments soient compréhensibles, nous avons besoin de les référer à une totalité. Cette totalité, appelons la, dans le langage artistique, " monde de l'artiste ", avec tous les risques restrictifs que cela suppose. Du moyen format au monumental, l'œuvre de Laura Lamiel étend son champ d'action sans aucune espèce de distinction hiérarchique. Mais, plus encore que cette diversité dans l’échelle de ses interventions, frappe la diversité des matériaux qu’elle utilise. La différence des matériaux, ce n'est pas seulement l'effet d'une pensée libre de ses intuitions et de ses rencontres, ce sont aussi des techniques de mise en œuvre qui agissent à partir de questions assez différentes mais suffisamment précises pour constituer les bases d'un vocabulaire et pour que leur répartition puisse convoquer tout autre chose que le simple fait d’une distribution. Si l’œuvre de Laura Lamiel se concentre en effet durablement sur certaines questions, c’est que chez elle, sur un mode que l’on peut qualifier de dialectique, une période en amène une autre et ainsi de suite. C’est pourquoi ses œuvres conservent la mémoire de l’autre scène, d’où proviennent leur existence et leur singularité.
Anne Tronche.